La bulle de Neko

Le regretté Georges

Allo ?

- Bonjour Didi. Tu vas bien ?

 

Oui et toi ?

- Ça va. Je t’appelle parce que j’ai une très mauvaise nouvelle à t’annoncer.

Ecoute….ton père est mort hier soir.

 

(…..)

- Tu es là ? Tu as compris c’que je t’ai dit ?

 

Oui, j’ai compris. Comment c’est arrivé ?

- Une crise cardiaque. En rentrant du travail. Il a eu un malaise sur le quai du RER.

Ton frère est là, il est arrivé ce matin. Il me dit t’embrasser.

Tu viens quand ?

 

Je ne sais pas Maman, je viens juste d’être embauchée et j’ai beaucoup de travail.

- C’est ton père… il t’aimait beaucoup

 

Oui je sais… Bon je te rappelle. Je te tiens au courant.

- Fais de ton mieux pour être là, le plus tôt possible.

 

Au revoir Maman

- Au revoir Ma Chérie

 

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A peine raccroché, je m’effondre dans le canapé. Je frissonne.

Tout en allant chercher un plaid, je déroule les dernières années depuis mon départ de la maison.

J’ai terminé mes études de lettre 3 ans auparavant et j’ai trouvé un poste de correctrice dans une petite société d’édition qui m’a éloignée d’une centaine de kilomètres de mes parents.

 

Mon père est mort. Cette phrase ne cessait de tourner dans ma tête.

Je ne savais pas comment réagir.

Est-ce que c’est mal de ne pas pouvoir pleurer ?

 

Je me lève à nouveau, et machinalement, je prépare une tasse de thé et retourne sur le canapé.

 

Mon père est mort.

Papa est mort.

 

Une cloche de verre s’est soudain abattue dans mon appartement. Mon cerveau n’arrive plus à percevoir clairement les sons environnants, il est focalisé sur cette seule et unique pensée.

Mon père est mort.

 

Des photos mentales se succèdent dans un désordre chronologique : papa en vacances, papa souriant, papa à table, papa embrasse maman, moi sur les genoux de papa, papa fatigué, papa avec ses amis, papa penché sur son bureau, papa dans le garage, papa… papa… papa.

 

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Le poing suspendu devant la porte de mon manager, j’attends quelques secondes, je respire profondément et je toque.

 

Je lui explique avec un peu de gêne la situation.

 

Un décès dans ma famille, je pars pour 2 jours. Ok, je mettrai les bouchées double pour rattraper le retard. Oui, c’est promis

- Condoléances.

Merci, au revoir

 

Bon. Ça, c’est fait.

 

La robe noire, ok

Les billets de train pour demain matin. ça, c’est fait aussi.

 

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C’est mon frère qui m’ouvre la porte. Il est un peu blême. On s’enlace longuement.

Il ne sent pas bon, il pique un peu.

Nous nous regardons en silence. Il a l’air grave et au bord des larmes, je lui souris pour détendre un peu l’ambiance.

 

Où est Maman ?

-Dans la cuisine, elle prépare des plateaux pour après l’enterrement.

 

Je la rejoins. Je ne m’attends à rien de spécial en allant la voir. Je me prépare pour un nouvel enlacement, silence, sourire triste, air grave, pleurs.

Je la vois de dos, elle se retourne, un gratin tout juste sorti du four dans ses mains gantées. Elle a son air doux et serein de tous les jours.

 

Je suis soulagée. Je l’embrasse et parlons à voix basse de banalités. Puis nous discutons des circonstances de la mort. Maman me précise que l’enterrement se fera demain matin à 11h.

Elle me propose d’aller dans ma chambre restée dans son jus depuis mon départ.

 

- Veux-tu que je t’aide à défaire ta valise ?

Non, ça va aller. Je n’ai pas pris grand-chose, je vais me débarbouiller.

 

- Oui, repose-toi un peu, je t’appelle dans une heure pour déjeuner.

Ok.

 

Je l’embrasse et je monte l’escalier.

 

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Le dîner n’est pas aussi morose que je le craignais, maman n’arrête pas de parler. Elle me donne les dernières anecdotes de la famille, des voisins, des amis.

Mon frère et moi l’écoutons en silence. Régulièrement nous hochons la tête ou nous émettons des mmm… pour assurer notre mère que notre attention est au maximum.

 

Je n’ai pas très faim. Personne ne souhaite que le repas s’éternise alors nous mangeons vite et sans appétit.

 

Enfin, environ 1 heure après, je suis de retour dans ma chambre.

J’ai beaucoup de mal à m’endormir. Je me lève en soupirant et me rend dans la salle de bain.

Je tombe sur Benjamin, pieds nus, le cheveux ébouriffé, la cerne noire.

 

- Toi non plus tu n’arrives pas à dormir ?

Je n’arrive pas à trouver le sommeil. Vous avez des somnifères dans la salle de bain ?

- Oui viens, on va se prendre une bonne dose

 

Je souris. Je trouve que cette réflexion lui va bien. Il a presque une tête de junky.

Nous avalons nos pilules de sommeil et retournons nous coucher.

 

---

 

Je me prépare sans hâte. Maman frappe à ma porte et me propose le petit déjeuner.

Non, je ne peux rien avaler.

 

Nous sommes prêts, nous partons.

Pas un mot n’est échangé durant le trajet en voiture.

 

L’officiant des pompes funèbres nous dirige vers la salle où repose le cercueil.

Je constate qu'il est fermé et j'en suis soulagée.

Famille, amis, collègues se succèdent au micro pour rendre un hommage émouvant, dithyrambique ou affligé. Quelques-uns ont tenté quelques plaisanteries sur ses petites manies, d’autres ont loué son caractère jovial et social.

J’entends des pleurs étouffés et des reniflements.

Cet étalage de sentiments me semble durer des heures.

 

L’employé compassé nous indique d’une voix basse : « nous allons procéder à la levée du corps ».

Autrement dit « on s’revoit au cimetière ».

Non, il ne l’a pas dit comme ça. Mais c’est tout comme.

 

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Le cercueil est couvert de fleurs odorantes, rouges et blanches.

A notre regretté collègue et ami

Ci-gît notre meilleur ami que nous n’oublierons jamais

Ici repose en paix un père dévoué et affectueux

 

Nous sommes au pied du cercueil. Le curé s’approche de nous : « souhaitez-vous dire quelques mots ? ».

 

 

Choisissez une fin

 

Mon frère hoche la tête et avance d’un pas. Cliquer ici

                                 

Ma mère hoche la tête en avant et avance d’un pas. Cliquer ici

 

Je hoche la tête et j'avance d’un pas. Cliquer ici

 

 

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Neko, 2020

 

 



21/01/2021

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