La bulle de Neko

Mnémosyne

Dans la mythologie grecque, Mnémosyne, fille d'Ouranos le Ciel et de Gaïa la Terre,

est la déesse de la mémoire et du souvenir.

 

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La mémoire est une chose bien étrange.

 

Je me souviens avoir été invité pour la seconde fois chez quelqu'un que je n'avais pas vu depuis au moins une année.

J'arrive au bas de son immeuble. Mince... un code !

Pas moyen de la joindre. Je reste planté là, fixant bêtement les touches

Je lève mon doigt et je compose des chiffres, au hasard... prétends-je intérieurement.

 

Sésame ouvre-toi !   Bzzz...clic ! fait la porte.

 

Je n'avais pas mémorisé le code, je ne le connaissais pas. Par contre, j'avais gardé le geste, le parcours de mon doigt sur les touches de ce clavier. J'en suis resté comme deux ronds de flan, évidemment.

 

Tout ce qui est théorique est inaccessible à ma cervelle, incompréhensible, voire profondément ennuyeux.

Il n'y a que la pratique comprise et répétée, qui ancre en moi, la leçon à apprendre ou à retenir.

 

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Je suis capable de reconnaitre des lieux ou bien un parcours que j'ai effectué une fois, il y a des années.

(Aidé par une boussole intuitive, je peux revenir au bercail comme un pigeon de compète ; alors que j'ai l'exploit, pas banal, de systématiquement me perdre avec un GPS en marche)

 

En revanche, je suis un piètre physionomiste. Piètre, est en-dessous de la vérité.

 

Si je devais décrire un voleur sans cagoule, quand bien même il aurait pris tout son temps pour me solliciter une aide financière urgente via mon portefeuille, ma montre, mes bijoux, ma carte gold et ma voiture ; son portrait-robot ressemblerait plus à "0+0=la tête à toto" plutôt qu'à la tête de Chéri Bibi.

Tu vois le genre...

 

Que mon voleur n'ait crainte. Aussitôt parti, aussitôt oublié.

 

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Au travail, par exemple, les visages sont donc source de grande difficulté pour moi. Surtout les femmes, car elles ont tendance à utiliser les mêmes coiffures, les mêmes maquillages, les mêmes vêtements. Les hommes font preuve de moins de mimétisme entre eux.

Je suis donc incapable de mémoriser un faciès du premier coup. Surtout, s'il est commun. Seule une particularité gracieuse ou disgracieuse peut m'aider à fixer cette personne dans ma mémoire.

 

Idem pour ses nom/prénom. Dans mon monde idéalisé, il aurait fallu que la personne dont je viens de faire la connaissance me redonne son identité à chaque fois qu'elle me croise, afin que je finisse par imprimer son visage et son nom associé. Cela peut prendre plusieurs jours, plusieurs semaines et je crois même pour certains plusieurs mois.

 

Personne ne s'offusquera qu'on lui redemande son nom lors d'une 2ème rencontre.

Mais la 3ème, 4ème,... 10ème fois, c'est un peu relou, non ?

 

Au bout de quelques temps, je finis par mémoriser les noms, les visages. Mais reste encore un problème, c'est de les affecter ensemble.

 

Oui tu sais.... comme ce jeu qui consiste à relier les paires dans 2 listes différentes. Dans ma tête, c'est ça. Je dois chercher dans ma liste de noms, celui qui correspond au visage devant moi.

 

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Dans ma vie de tous les jours, je croise des gens qui me reconnaissent et dont je ne situe pas le degré d'intimité ou d'interaction sociale avec moi. Je suis dans la situation de quelqu'un qui attend que l'interlocuteur parle suffisamment pour capter les informations dont j'ai besoin pour la contextualiser.

 

Cette lacune me dessert lorsque je regarde certains films, en particulier les films américains où toutes les actrices ont une forme de visage quasi identique. Pas facile, de suivre l'intrigue dans ces cas-là.

Les actrices et chanteuses françaises ont plus de personnalité dans leur apparence. Elles ont moins recours à une chirurgie stéréotypée comme aux usa.

 

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Pendant plusieurs années, une jeune voisine au physique particulièrement insignifiant, habitait dans le même escalier que moi. Je la reconnaissais uniquement lorsqu'elle était flanquée de son compagnon ou de son chien. C'était mon seul repère pour la fixer dans ma rétine.

Seule et sans son clébard, je ne la reconnaissais pas.

 

Quant aux personnes que je ne côtoie plus, la relation que j'ai eue avec elles, reste assez indélébile dans mon esprit (situations, paroles échangées, sentiments positifs ou négatifs, pensées formulées ou non).

A contrario, leurs noms et les traits de leurs visages se floutent et disparaissent rapidement et irrémédiablement dans mon carrousel d'images.

 

De temps à autre, je me demande si c'est un manque d'intérêt pour les autres ou une réelle lacune physiologique.

Va savoir...

 

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Sûr de toi, tu viens d'accrocher tout seul ton tableau. Fier comme Artaban, tu me le montres.

 

Sans filtre, je te fais la remarque suivante :

"Ton Picasso, tu sais, j'en ai un peu rien à foutre, je suis totalement insensible à ses œuvres.

Cela dit, question visage je n'ai peut être pas le compas dans l’œil ; cependant, ma sensibilité de Balance peut t'affirmer que ton tableau penche de 2 millimètres à gauche."

 

Voilà. T'as plus qu'à t'acheter le niveau à bulles dont tu voulais faire l'économie.

Radin.

 

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Je ne me rappelle jamais les titres des livres que j'ai lus.

Attiré par la 1ère de couverture, j'emprunte ou achète le bouquin.

Bien calé dans mon canapé, je commence ma lecture. Mince... je l'ai déjà lu.

 

Je te vante les mérites d'un bouquin ou d'un film. Je te le raconte de bout en bout sans te spoiler la fin.

Naturellement, tu me demandes le titre...

ah...ok. Attends une seconde, je te le cherche sur Internet.

 

Je raconte à une amie combien j'ai aimé une expo d'estampes japonaises que je venais de voir.

j'étais tellement impressionné, que j'y suis retourné 2 fois de suite, y passant des heures.

J'avais même acheté à la boutique de l'expo, à prix prohibitifs, un livre et un objet souvenir.

Elle me demande le titre de l'expo. Je sais pas. Je ne me rappelle déjà plus.

Elle s'est foutue de ma gueule.

A juste titre.

La honte.

 

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C'est toujours quand on se dit : "il faut que je m'en rappelle", qu'on ne s'en rappelle jamais.

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Involontairement, je mémorise des informations (une parole, un texte, une situation, un moment) que mon cerveau met en attente.

Comme ça. Tout seul. Sans m'en informer.

Des mois ou des années plus tard, à la faveur d'une situation nouvelle, l'information ressurgit.

Soudain, elle se justifie, devient raccord, cohérente, compréhensible et exploitable.

 

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Je suis un listomane compulsif. Non, cherche pas. Robert va t'envoyer paître chez La Rousse.

 

Je fais un tas de listes de tout, je note la moindre activité banale.

C'est pas tant la peur d'oublier quelque chose ; en général, je me rappelle des nombreuses tâches quotidiennes à solder, pendant des semaines, des mois ou des années.

C'est plutôt pour alléger la charge mentale du cerveau.

Ce que je dépose sur le papier, je n'ai plus besoin d'y penser. Je fais de la place pour les infos du jour.

 

2ème raison : faire des listes, permet de visualiser concrètement comment les choses avancent.

     Ce qui est fait, n'est plus à faire.

           Ce qui n'est plus à faire, n'est plus à mémoriser.

 

Ce qui me fait penser qu'un jour, je devrais te parler de mon rapport singulier au temps.

 

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Neko, août 2023

 

 

 

 

 

J'aime beaucoup l'automne, ces couleurs rousses, brunes et dorées, ces journées ensoleillées, ces fraicheurs douces, sa lumière particulière.

C'est aussi la saison des brocantes et vide-greniers en tout genre.

 

Il y a quelques jours, je suis à une de ces brocantes. Ma fille parle avec quelqu'un. Je ne m'intéresse pas à la conversation, contrairement à moi, elle est plus sociable et connaît bien plus de monde.

Elle a une mémoire de poisson rouge qui fait mon désespoir, par contre, elle imprime une personne à la première rencontre sans aucune difficulté.

 

Elle m'interpelle : "tiens regarde qui est là"

Devant mon regard vide et inexpressif, elle subodore que, comme d'habitude, je ne reconnais pas la personne. Ils sont là, tous les deux à me charrier. Lui, sympa, il plaisante, son visage ne me dit absolument rien, de rien. Je ne fais pas vraiment d'effort de mémoire, je suis sûr de ne pas le connaître.

Tout le monde se sépare.

Plus tard, elle me dira que ce gars, c'est celui qui, depuis des années, me fait un brin de causette tout en m'ouvrant la barrière pour accéder à la déchetterie où il est employé.

 

Aaaaah mais oui... bon d'accord... il n'avait pas mis son gilet jaune aussi...      :-)

 

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Neko, octobre 2023

 

 



01/08/2023

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